Train de nuit


*


Dans le train qui me ramène à Genève, 

un jeune couple se bécote. 

Ils ont vingt ans et s’aiment

comme on embrasse l’éclair 

sans craindre la pluie.


Leurs gestes sont pressés et éternels à la fois.

Leurs traits semblent se fondre dans un même moule,

jusqu’à leurs longs cheveux blonds 

tissés dans la même trame. 


Tout en eux se confond et se révèle à travers l’autre.

Chaque frisson s’accompagne d’un écho familier,

plus intense que l’enfance 

qu’ils viennent à peine de quitter. 


*


Où commence l’illusion et où finira-t-elle ? 

Quelle importance ! 

Ne pas réduire. Résister à nommer.

Laisser l’extraordinaire 

se déployer.


Un jour, les mots viendront, 

demanderont pourquoi, comment…

car de deux âmes - qui s’appellent et se répondent - 

il ne doit jamais n’en rester qu’une.


Le temps orchestre la danse. 

Les audacieux en retiendront les pas,

en inventeront d’autres.

Grandir, c’est embrasser l’espace,

incorporer le monde. 


*


Peut-être est-ce cela, le vertige, 

cette lueur dans ses yeux : Elle sait déjà 

qu’elle s’y abandonnera. 

Hier comme aujourd’hui, son plus grand défi 

n'est pas de vivre sans lui 

mais d'oser la présence, 

sans se lâcher la main.


Nos regards s’accostent et le silence raconte.

Ne pas m’en détourner, encore moins me masquer :

La lumière ne vole rien à l’ombre.

Renoncer à apprendre serait désavouer demain 

et effacer le mien avec le sien. 


Sait-elle que je marche dans ses pas,

que je suis l’écho de son élan,

que son feu brûle toujours en moi ?


*


À trop regarder en arrière,

je me suis trompée de chemin.

Je pensais prendre le bon train

mais voyageais en sens inverse.


Ce n’est pas tous les jours 

que l’on croise son double de vingt ans. 

Mon reflet tremble un peu. 

Il est bientôt minuit. 


Le froid colle au silence du quai.

Rire ou pleurer ? Rire. Toujours rire. 

Où que je sois, je suis chez moi en moi. 

La rencontre est devant.

Elle s’écrit à chaque pas.


M.